L'auteur, une jeune berlinoise est restée longtemps anonyme et pourtant elle est toute proche.
Imaginez 1945, l'effondrement de l'Allemagne nazie. Les Russes déclenchent l'offensive de la Baltique aux Carpattes en début d'année. L'Armée Rouge avance rapidement et sème la terreur. Les Alliés sont sur le Rhin et progressent vers l'Est. En février 1945, c'est Yalta. Berlin sera occupée par les Russes. Les Américains ne pousseront pas leur avancée. Les positions allemandes sont débordées le 19 avril. L'assaut soviétique sur le Reichstag débute le 30 avril, date du suicide d'Adolph Hitler et d'Eva Braun La capitulation des forces allemandes est signée le 7 mai.
Pendant ce temps, 2 millions de Berlinois doivent survivre sous les bombardements, sans eau, ni électricité, ni approvisionnement ; on compterait plus de 40.000 morts, civils et soldats et 100.000 Berlinoises violées.
Le journal démarre le 20 avril, sous le bruit des bombardements, dans un appartement déjà endommagé, où il n'y a plus rien à manger, où les informations, la radio n'arrivent plus. Tout un peuple se retrouve à la "cave-caverne", notre héroïne aussi un cahier sur les genoux pour noter ce qui se passe et essayer de tenir les évènements à distance.
Les jours se succèdent : les heures s'enchaînent, heures passées à la cave la nuit pour se protéger des bombardements, heures passées à dormir le jour pour récupérer dans des appartements saccagés par les bombardements, heures passées à trouver de quoi manger, faire la queue pour obtenir des tickets de ravitaillement, de quoi se chauffer, piller, éviter les soldats, échanger des nouvelles et parler ou ne pas parler "de ça".
L'ordre établi s'effondre. Notre héroïne se rapproche d'une autre femme, sa voisine, la veuve, et,ensemble elles s'efforcent d'affronter la situation -les hommes, les vrais sont à la guerre.
Les Russes sont là. Ils envahissent les rues, les maisons. Les Allemands,-ceux qui sont là, vieux ou malades, les Allemandes se cachent mais ils sont découverts. Notre héroïne parle un peu russe et essaie de s'interposer. Bientôt elle est piégée. Un autre soir, des Russes envahissent l'appartement où elle est réfugiée. Elle ne pourra pas s'échapper. Une autre fois encore, les portes de l'appartement ne ferment plus, des soldats entrent, vont et viennent. Ca suffit. Elle prend une décision et ne subit plus : elle cherche un gradé, Anatol, qui lui évitera au moins les assauts de multiples soldats.
Ils continuent cependant d'envahir l'appartement, apportent de quoi manger, de quoi boire.. Parmi ces homme, un adjudant, Andréi, marxiste orthodoxe, ne se laisse pas aller au viol et quelques autres avec qui une conversation est possible... Anatol disparaît. Un autre gradé se porte volontaire pour le remplacer. Lui aussi est un homme normal, abîmé par la guerre, cherchant un peu de repos.
Ce qui amène notre héroïne à se poser des questions : est-elle devenue une putain ? Oui, puisqu'elle vit de son corps et qu'en échange, elle reçoit de la nourriture. Non, puisqu'on ne voit pas où pourrait être sa marge de manoeuvre. En quoi est-ce un métier indigne ? Non, ce n'est pas indigne, mais cela ne lui convient pas. Elle veut être libre de disposer d'elle-même. Les viols sont si nombreux que les femmes en parlent entre elles et cela les aide. Les hommes préfèrent ne pas savoir. Des jeunes filles,violées, restent cachées, muettes, et ne peuvent surmonter cette épreuve.
Ici ou là, quelques remarques sur le statut des hommes : les Allemands en guerre qui ne se sont pas mieux comporter que les Russes à Berlin, sur les Russes tout aussi brisés par la guerre ; sur le statut des femmes contraintes de se débrouiller seules et qui n'oublieront plus cette capacité à être autonome. L'ami de notre héroïne reviendra, ne reconnaitra pas la femme aimée avant la guerre et ne supportera pas la lecture des cahiers.
Et les Russes disparaissent. Les provisions qu'ils apportaient, n'arrivent plus. Comment survivre ? Premières sorties dans Berlin, silencieuse, dévastée ; premiers rayons de soleil ; premières tentatives d'organisation. Manger, manger n'importe quoi, mais survivre. Un recommencement se fait peu à peu : essayer de nettoyer la maison, de se laver, accepter un travail très rude contre une souppe, chanter, se souvenir de chansons ou de poèmes aimés, participer à un projet d'édition...
Notre héroïne subit un maelstrom, mais elle n'est pas engloutie. Sa force de caractère, son esprit de décision, sa culture, son humanisme, sa joie de vivre lui permettent de survivre. Elle dessine le portrait d'une femme libre, née des affres de la guerre. Une leçon à ne pas oublier.
Citations
"Et tout le monde brûle les livres. Tout au moins nous procurent-ils encore de la chaleur et de la soupe quand ils s'envolent en fumée."
"Physiquement, je me sentais mieux, maintenant que je voulais quelque chose, que je planifiais, que j'agissais et n'étais plus une simple proie réduite au slence."
"Les nôtres ont sans doute fait la même chose là-bas."
"Je sais seulement que je veux survivre -à l'encontre de toute raison, absurdement, comme une bête."
Références
Première parution en 2006
Trad. de l'allemand par Françoise Wuilmart
Collection
Folio (n° 4653),
Gallimard
Parution : 17-01-2008 ISBN : 9782070349494